Au cœur du Judo Breton – Interview de Joël Boucher à la Ligue Bretagne Judo

5 novembre 2025 | Presse

 Le plus important c’est le respect Joël Boucher, 7e Dan originaire du Finistère, est une figure majeure du judo en Bretagne. Passionné par sa dimension éducative, il partage avec conviction ce qui le guide depuis 63 ans de pratique.

Parcours

Q : Peux-tu te présenter en quelques mots ? (Parcours, rôle dans le judo, lien avec la Bretagne)
R : J’ai commencé le judo il y a 63 ans, à l’âge de 7 ans, en Gironde. À notre retour en Bretagne, j’ai rejoint le Dojo des Abers, puis le Dojo Brestois. J’ai fait beaucoup de compétition à tous les niveaux : départemental, régional, interrégional, et jusqu’aux championnats de France en cadet, junior et senior.

En 1979, j’ai obtenu mon brevet d’État et créé la section judo de l’ASPTT Brest, puis, en 1983, le Judo Club de Gouesnou, où j’habitais. Cela fait maintenant 46 ans que j’enseigne le judo.

J’ai aussi pris des responsabilités au sein du comité départemental et de la ligue de Bretagne: 16 ans en tant que responsable de la commission sportive du Finistère, puis délégué des clubs du Finistère, vice-président de la ligue, responsable régional culture judo, référent des hauts gradés, responsable des récompenses et juge à différents niveaux, régional et national.

Côté formation, j’ai participé à de nombreux stages en France et trois fois au Japon avec la fédération. J’ai obtenu mon 6e dan en 2005 et je suis 7e dan depuis fin 2022.

Ce parcours m’a valu plusieurs distinctions : médaille d’or de la jeunesse et des sports, palme d’Or de la fédération, croix de vermeil, grande médaille d’or.

Q : Comment as-tu découvert le judo et qu’est-ce qui t’a attiré ?
R : Je viens d’une famille de footballeurs — mon père était arbitre national — mais je dois avouer que j’étais vraiment mauvais en football ! Alors naturellement, j’ai fait un peu plus de judo, et j’y ai tout de suite trouvé ma place. Ce qui m’a attiré, c’est la rigueur, l’état d’esprit, et puis le fait que je commençais à gagner des compétitions. Ça m’a motivé à continuer.

Q : Quel a été ton premier club et ton premier professeur ?
R : Mon premier professeur était Jean-Luc Lesguer au Dojo des Abers. Depuis, ce club a beaucoup grandi. J’en ai été la première ceinture noire. Ensuite, étant à l’école à Brest, je suis passé au Dojo Brestois, ce qui m’a permis de m’entraîner plus fort, avec plus de monde.

Q : Comment as-tu-vécus le développement du judo en Bretagne ?
R : À l’époque, il y avait Rennes, Cornouaille, le Dojo Brestois, avec des professeurs bien respectés. Petit à petit, ça a changé, les jeunes sont arrivés, et beaucoup de clubs se sont regroupés. Moi, ça me gêne un peu parce qu’on n’a plus la même ambiance de club, j’aime bien l’esprit un peu plus familial que je m’efforce de conserver.

Je pense que le judo aussi s’est transformé. Avant, le respect était beaucoup plus marqué, maintenant, on voit surtout le côté sportif et c’est les résultats en compétition qui prennent le dessus. Des fois en compétition tu vois des jeunes se balader autour des tatamis torse nu, d’autres la ceinture à la main, certains ne savent pas saluer… ça m’attriste un peu.

Pratique

Q : Qu’est ce que tu aimes dans le judo ?
R : Ce que j’aime dans le judo, c’est surtout le respect : celui des professeurs, des camarades d’entraînement. On peut le voir rien qu’à la façon dont deux judoka se saluent, c’est d’ailleurs un sujet que j’ai exposé pour ma septième dan.

Le judo est pour beaucoup — parents et autre — une discipline avant tout éducative. C’est une vraie école de sociabilité et de mixité. Beaucoup de parents attendent des professeurs qu’ils apportent un cadre, une éducation. C’est indispensable que les professeurs perpétuent cet esprit.

Les champions ont aussi un rôle important, mais parfois on voit qu’ils ne saluent pas bien, ou qu’ils discutent l’arbitrage. Les jeunes les regardent, et ils les copient.

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de demandes pour que le judo soit intégré dans les écoles, justement pour ces valeurs éducatives : le respect de l’aîné, de la connaissance, des grades. Dans le respect des grades, le moins gradé doit être à l’écoute, mais il est tout aussi important que le gradé montre l’exemple. Le respect va dans les deux sens.

Q : Qu’est ce que tu n’aimes pas dans le judo ?
R : En règle générale, j’aime tout dans le judo. Ce que je n’aime pas, ce sont certaines dérives qu’on voit aujourd’hui : on conteste l’arbitre, on conteste tout, ça ne me plaît pas trop. C’est à nous, les hauts gradés, de prévenir ça et de transmettre la bonne parole.

Q : Quelle est ta (ou tes) technique favorite ?
R : J’ai démontré osoto-gari pour mon sixième dan, j’aime aussi harai-goshi, tai-otoshi, et les balayages.

Q : Quelle a été ta plus belle expérience ?
R : Mes plus belles expériences, ce sont mes voyages au Japon, le berceau du judo. Et aussi et quand j’ai eu le plaisir de passer les hauts grades.

Mais au-delà de ça, ce sont toutes les rencontres que j’ai pu faire : des gens compétents, passionnés, simples. Je me souviens d’un moment où j’ai discuté pendant plus d’une demi-heure avec Maître Ishiro Abe, 10ème dan. Il parlait très bien en français. Un puits de connaissances, mais surtout quelqu’un de très sympathiques.

j’ai compris que les gens qui sont bons au judo sont en général sympathique. Quelqu’un de compétent aime ce qu’il fait et veut le partager, en parler et cela se traduit par des personnes humbles et accessibles.

Évolution du judo

Q : Comment vois-tu l’évolution du judo en Bretagne ces dernières années ?
R : L’évolution du judo en Bretagne, ces dernières années, n’est pas évidente, surtout au niveau de la compétition. En face, on a de très grosses structures, avec des regroupements importants au niveau national, ce qui rend les choses plus difficiles.

Q : On peut observer que le judo semble se morceler, au fil du temps, en plusieurs disciplines : taiso, jujitsu, self-défense, jujitsu brésilien, judo de compétition, judo loisir… Est-ce une bonne chose de spécialiser et de séparer les différents aspects du judo, ou non ?
R : Moi, je suis professeur de judo, de jujitsu et de taiso. J’ai formé des élèves qui, aujourd’hui, donnent des cours spécialisés dans ces disciplines. Petit à petit, des cours plus personnalisés sont apparus, peut-être aussi pour attirer plus de licenciés.

En tant que professeur de judo, je ne peux pas tout faire, donc c’est bien qu’il y ait des spécialistes. On n’a pas le temps de tout couvrir, et pour moi, ma priorité reste le judo.

Q : Que dire à propos de l’arbitrage (son évolution) ?
R : L’arbitrage, ça change trop souvent. Les règles ont été modifiées plusieurs fois, parfois pour avantager certains styles de judo, mais au détriment d’autres. Par exemple, la suppression des saisies sous la ceinture, qui visait certains surement des pays de l’Est, ça nous a pénalisés aussi. Quand on regarde au sumo, discipline également japonaise, les règles n’ont quasiment jamais changé.

Et pour les arbitres, ce n’est pas simple non plus. Je trouve qu’au niveau départemental et régional, le niveau a un peu baissé. Mais il faut dire qu’avec des règles différentes pour les poussins, benjamins, les minimes… qui elles-mêmes changent souvent, c’est parfois compliqué à suivre.

Ce qui est important pour moi, c’est que le respect soit dans tous les sens. Professeurs, coachs, arbitres, on doit s’entraider pour vivre le judo ensemble.

Questions personnalisées

Q : La culture du judo semble vous être d’un grand intérêt, comment aujourd’hui peut-on faire pour la mettre en avant ?
R : Oui, la culture du judo m’intéresse beaucoup. On m’a déjà demandé d’animer des stages sur le sujet, mais pour moi, ça commence d’abord dans les clubs. C’est le rôle des professeurs de transmettre cette culture, au quotidien.

Dans les passages de grade, on voit parfois des ceintures mal mises, des saluts approximatifs… Ce sont des choses qui doivent être travaillées en club. La culture du judo, elle se construit dès les premiers cours. C’est à nous, enseignants, de la faire vivre.

Conclusion

Q : As-tu une anecdote marquante à partager sur ton parcours dans le judo ?
R : Oui, une anecdote marquante, c’est ma rencontre avec Serge Decoster. Il a été mon parrain pour le 6e dan, et j’ai eu la chance de le retrouver pour mon 7e dan. Je souhaite à tout le monde d’avoir un judoka comme lui dans sa vie. Ce sont des personnes extraordinaires, qui marquent un parcours.

Q : Si tu devais décrire le judo en une phrase, quelle sera-t-elle ?
R : Le judo, c’est avant tout de l’éducation, du respect et de la sincérité.

Q : Si tu avais un livre à conseiller ?
R : Je ne lis pas beaucoup de livres sur le judo, j’ai plutôt des petits pense-bêtes que je garde sous la main. Sinon, au Japon, on demandait parfois la permission de filmer, parfois je me repasse ces cassettes-là.

Q : Quelle personne sera la prochaine à être interviewée ?
R : Didier Le Saux, c’est quelqu’un de discret, qui connaît très bien l’organisation du judo en Bretagne et qui y œuvre depuis longtemps.

Merci pour votre lecture et à très bientôt !
Interview réalisée par Simon Rebours

A la une …